Les territoires, terreau de coopérations fertiles
Portage de repas aux plus fragiles, organisation de circuits courts, production de masques ou de visières par des communautés makers… Autant d’exemples d’actions spontanées qui se sont organisées en un temps record pour répondre aux nouveaux besoins des populations. Leur point commun ? Leur caractère hybride tant elles ont associé acteurs publics, citoyens, TPE et PME, associations et bien sûr entrepreneurs engagés.
L’émergence de nouvelles formes de collectifs
Le département Pas-de-Calais a ainsi été à l’origine d’une coopération encore jamais vue entre ateliers textiles du territoire. Bénédicte Messeanne-Grobelny, vice-présidente du conseil départemental en charge de l’ESS, raconte : « Au printemps, brutalement, nous avons été confrontés à deux problématiques : les entreprises locales connaissaient un ralentissement d’activité et avaient besoin de soutien. Parallèlement, nous avions à produire en masse des masques pour la population. Nous avons donc décidé d’apporter une double réponse en mettant en relation cinq structures d’insertion pour assurer en commun une commande de 90 000 masques sur six mois. »
Les ateliers Vestali font partie de ce collectif créé pour l’occasion. Hélène Maréchal, sa directrice, témoigne : « Au début de la crise, chaque structure avait été sollicitée individuellement pour produire des masques. Mais personne n’avait tous les tenants et aboutissants. Quels tissus utiliser ? Quels élastiques ? Comment s’approvisionner alors que la matière première manquait ? Comment répondre à toutes les demandes ? Avec ce collectif, nous avons mutualisé nos forces. Nous avons eu plus de poids pour négocier les prix, obtenir les fournitures, se répartir la production en fonction des effectifs de chacun. » La communication et l’entraide entre chaque entreprise s’installent vite, mais ce collectif nécessite aussi un accompagnement pour structurer ses fondamentaux.
C’est ainsi que Pas-de-Calais Actif est intervenu en tant que « facilitateur », comme l’explique son directeur adjoint, Benoît Bara : « Normes à respecter, calcul du prix, coût de revient… Les entreprises avaient besoin d’être accompagnées sur ces aspects. Nous les avons ainsi aidées – en coopération avec le département – dans la rédaction d’un cahier des charges en vue de la sélection de deux cabinets de conseil qui sont venus en soutien, puis dans le suivi de cet accompagnement. » Au final, cette action collective a été bénéfique pour tous les acteurs impliqués. « Cela prouve une fois de plus que les acteurs de l’ESS sont cruciaux pour relever les défis en période de crise. Et cela confirme aussi que, quand l’ESS est abordée comme un sujet transverse, tel que c’est le cas au sein des différents services du département, des coopérations inédites de ce type peuvent vraiment voir le jour », précise Bénédicte Messeanne-Grobelny.
Toute la question est désormais d’inscrire cette initiative dans la durée. C’est ainsi que les cinq ateliers travaillent désormais avec Pas-de-Calais Actif et les mêmes cabinets conseil pour poser les bases de la construction d’une filière textile ESS à l’échelle du département qui pourrait progressivement s’élargir à d’autres structures, telles que les ESAT et les entreprises adaptées.
« Des actions de plus grande envergure pourraient voir le jour. Je pense par exemple à notre projet de confection école que nous avons chez Vestali. Pour le moment, nous sommes un peu limités car nos locaux sont trop petits. Avec cette filière, nous pourrions mutualiser. C’est un vrai enjeu car l’idéal serait ainsi de convaincre des industries textiles de se réimplanter sur le territoire grâce à ce vivier de personnes compétentes présentes localement », conclut Hélène Marechal.
L’innovation au cœur des territoires
La créativité des coopérations n’a pas attendu la crise pour s’exprimer, notamment grâce à certains dispositifs qui ne cessent de se développer. À l’instar des SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif), CAE (coopératives d’activité et d’emploi), PTCE (pôles territoriaux de coopération économique – voir encadré) qui misent sur une gouvernance partagée ainsi que la mutualisation et l’hybridation des approches pour revitaliser les territoires, quels qu’ils soient.
Phares, sur l’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), en est un exemple emblématique. Ce collectif est né de la volonté d’habitants déterminés à apporter des réponses innovantes aux difficultés socio-économiques de leur territoire. En 2001, l’idée se concrétise avec l’acquisition par l’association Halage – soutenue par France Active – d’un bâtiment de trois étages qui accueille aujourd’hui une vingtaine de structures associatives, coopératives et commerciales qui travaillent toutes sur les questions des populations marginalisées ou sur l’aménagement du cadre de vie et de l’environnement. « Nous sommes un peu un “HLM de l’ESS“, affirme Stéphane Berdoulet, son co-gérant également co-directeur de Halage. Ensemble nous maximisons nos énergies, ce qui multiplie ainsi l’impact de nos actions en faveur du développement local. Et surtout il n’y aura jamais un Phares n° 2 ou n° 3 car tout dépend de nous, à un moment donné, sur un territoire donné. Nous sommes un écosystème territorial. » Prochains défis pour le collectif : construire deux étages supplémentaires à leur immeuble en utilisant uniquement des ressources de l’ESS et de l’insertion ainsi que les compétences du territoire.
L’association Halage, quant à elle, se lance dans un vaste projet de reconversion de friche urbaine de 3,6 hectares, au bout de l’île Saint-Denis, Lil’Ô. « Ce sera l’unité de lieu et de temps de tout ce qu’on sait faire avec une plateforme de compostage électromécanique, une ferme florale, un travail sur la terre et le traitement des sols. Cela deviendra aussi un lieu d’éducation populaire car nous ferons s’y rencontrer habitants et chercheurs », explique Stéphane Berdoulet.
Ces coopérations hybrides sont en effet propices à l’expérimentation de nouveaux modèles. Les Champs des Possibles, installé en Seine-et-Marne, l’illustre également en étant à la fois une couveuse – pour faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs dans la région – et une coopérative d’activités agricoles pour mutualiser les outils, les services et même les risques entre ses membres (voir Walter n° 23, p. 4-5). « Ni les couveuses d’activité, ni les CAE étaient des modèles pensés pour les métiers agricoles ou artisanaux. Nous avons donc dû nous inspirer de ce qui se faisait dans d’autres secteurs mais tout en les adaptant à nos spécificités via des espaces tests », explique Sylvain Péchoux, son co-gérant. « Notre modèle économique reste à consolider eu égard au poids important du capital d’exploitation nécessaire aux activités de production agricole et de transformation alimentaire. La coopérative articule investissements et financements privés et publics avec l’objectif de libérer des marges de manœuvre pour améliorer les revenus dans ces métiers essentiels mais peu valorisés », précise-t-il. Car, finalement, ces nouvelles coopérations sont aussi une nouvelle manière de penser les équilibres entre les différents acteurs – qu’ils soient publics ou privés.
La relation publique-privée réenrichie
Stéphane Berdoulet, de Halage, plaide ainsi pour un PPPP « c’est-à-dire un partenariat public-privé auquel il faut ajouter les P de “population” et celui de “pédagogie” – c’est-à-dire une forme de relation qui n’est pas celle d’un commanditaire-prestataire, mais qui adapte les réponses à des diagnostics renouvelés et en phase avec les vrais besoins locaux. »
Nicolas Portier, délégué général de l’Assemblée des communautés de France (AdCF), le confirme : « La propension des acteurs publics et privés à coopérer, à s’entendre, se coordonner, intensifier leur relation est un marqueur fort des territoires résilients et réactifs. C’est ce que les sociologues appellent le “capital social“. » Ces nouveaux circuits relationnels sont d’ailleurs porteurs pour l’après-crise. Nicolas Portier poursuit : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à un choc de demande et d’offre sans équivalent. Une option est que tout le monde s’attende et que rien ne bouge. Une autre est, au contraire, celle de la confiance mutuelle. Et dans cette dynamique, où tout est interdépendant, les acteurs publics locaux ont un rôle d’entrainement majeur. Les communes et les intercommunalités représentent à elles seules 50 % de la commande publique française. Ce sont donc des maillons essentiels pour entraîner tout l’écosystème local et amplifier ces dynamiques de communautés solidaires. »
La connexion comme nouvel enjeu stratégique
Pour Denis Dementhon, directeur général de France Active, toutes ces initiatives collectives permettent de tirer un enseignement clé : « Au-delà des solutions concrètes mises en œuvre, il apparaît de plus en plus fortement que les entrepreneurs ont besoin de connexions, soit de pairs à pairs, soit avec des acteurs vitaux de leur territoire. La crise nous a ainsi appris que cette capacité à mobiliser les réseaux et à faire naître des interactions devait être autant travaillée que l’accompagnement financier. » Forte de son réseau territorial et de ses 40 000 entrepreneurs engagés soutenus, France Active s’engage donc à intégrer encore plus fortement cette dimension au sein de ses offres. « Bien sûr, cette connexion ne peut se décréter au niveau national, sur un paperboard, complète-t-il. Elle ne peut émerger qu’au niveau des acteurs de terrain. C’est pourquoi, dans cette dynamique, nous avons décidé de faire confiance aux réseaux territoriaux car ce sont eux les terreaux fertiles de ces nouvelles formes de coopération. »
13439 coopératives actives en France
dont 974 SCIC
(Confédération générale des SCOP – 2019)
160 PTCE en France en 2017
(Le Labo de l’ESS)
15% des Coopératives d’activité et d’emploi
sont implantées en zone rurale
(Projet Tressons (Territoires ruraux et ESS, Outils et Nouvelles Synergies) piloté par l’Avise et RTESS – ESS et ruralité)
70 espaces tests agricoles
sur l’ensemble du territoire national réunis au sein du RENATA